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mercredi 16 mai 2018

Mes sorcières préférées.

 Cette fois, ça marche...
Sans accrocs je peux rétablir la com avec vous qui allez participer dorénavant à mes échanges épistolaires. Je crois avoir pas mal de chose à faire partager et me réjouis que vous y participiez.
Les contes du passé sont une de mes marottes. Ma maman qui fut enseignante, institutrice comme on disait alors, m'en a souvent conté.
L'un d'entre eux retenait particulièrement mon attention. Je me suis efforcé de le rédiger au plus près de mon souvenir et vous le propose comme je l'ai interprété.

Le retour de Bâle.

Cela se passe au 19ème, une époque ou la vie était faite de labeurs et de croyances que l'on a depuis longtemps oubliés. Les "Djnaches" occupaient les réunions de famille hivernales. Alors tous autour du feu de la cheminée, nous tremblions aux méfaits et aux mésaventures de ses personnages qui peuplaient la vie quotidienne autant que les imaginations.
Hors, ce soir là , en ce milieu du 19ème, le Jura est territoire du canton de Berne. Situé à son extrémité Nord-Est, il est frontalier avec l'Alsace à l'Est et la Franche Comté à l'Ouest. La vie s'écoule au fil des saisons entre les travaux des champs et de timides ébauches d'industrialisation. Les paysans horlogers font petit à petit leur apparition. Toutefois, les communes tirent le principal de leurs revenus de l'exploitation des forêts et partant du commerce du bois. Le bois de papier est un débouché non négligeable de cette activité forestière. Si les scieries bordent les cours d'eau, telle la Sorne par exemple, les équipements de transformation en papier sont situés au-delà des limites jurassiennes. La matière première est souvent acheminée vers le port fluvial de Bâle et transportée par le Rhin vers l'étranger. L'Allemagne principalement.Ces transports se font au moyen de charrois lourds et solides, tirés par des chevaux et confiés à des voituriers.
La route de Delémont à Bâle est longue d'environs 50 km. Son tracé, longe la Birse, rivière venant de Moutier et qui à l'entrée de Delémont bifurque vers l'est et s'en va rejoindre le Rhin près de la ville rhénane. La marine suisse ancrée dans ce port, achemine alors sur ses péniches et bateaux les bois et quantité d'autres marchandises.
Les chars à ridelles ou échelles, utilisés pour ces transports, sont parfois plus lourds que le chargement lui-même. A l'aller comme au retour à vide, la tâche est difficile et rude pour bêtes et gens. Les chevaux de traits utilisés, sont de solides percherons travaillant souvent en couple voir en attelage triple. La main de fer du conducteur est nécessaire pour driver et conduire à bien ce transport et ce, d'autant que l'état des routes laisse nettement à désirer. 
La proximité de la rivière,ses débordements  saisonniers, les petits défilés très ombragés et les gorges qui jalonnent le parcours, ajoutés au poids des convois ne laissent pas la chaussée au mieux. Le revêtement de pierre et de sable, parfois soutenu par des souches de chêne, se creuse rapidement et met en péril l'équilibre d'un chargement mal arrimé.
En ce jour de décembre 18.., l'attelage du père Wolf peine sur la route du retour. Bien que à vide, le convoi progresse avec difficultés. La route est verglacée et de nombreuses plaques de neige sont accumulées dans les endroits ou le soleil de la journée n'a pu les atteindre. La neige cette année fait une apparition prématurée et Noël s'annonce "blanc".
Le charretier a prit le parti de marcher à côté de son attelage. Il peut ainsi intervenir avec plus de rapidité en cas de besoin.
Le souvenir de la dernière halte à l'Auberge de Liesberg, s'estompe et les effets du vin chaud et de la Damassine ne font plus le poids face à la bise insidieuse et glaciale qui sévit dans le défilé de "Sous le Vorbourg". Sur son éperon rocheux, dominant la forêt, la Chapelle dédiées aux apparitions de la Vierge, rejoint peu à peu l'obscurité. Le dernier hameau traversé, Soyhières, vient de disparaître, happé par le virage à droite qui a encore rapproché la route de la rivière.
A 15 km de chez lui, le charretier se sent bien seul. Les deux jours de ce voyage ont été éreintants. Tout comme les deux chevaux, il peine dans les ornières de plus en plus profondes et envahies par une neige qui commence à durcir avec la chute de température. Il se prend à rêver de ce chemin de fer dont on parle de plus en plus et qui relierait Delémont à Bâle.
Ah...si ces propriétaires terriens, tous opposés à cette évolution, devaient se farcir ces trajets hebdomadaires, ils réfléchiraient différemment à coup sûre ! Mais le projet menace de couper leurs terres , leurs propriétés ou leurs domaines en deux voire en plusieurs parcelles par la création de la voie ferrée...Alors ? Il pense surtout a Errard de Bassecourt qui a déjà porté l'affaire devant les tribunaux et qui refuse de voir fractionné un domaine dont il faut actuellement une journée à cheval pour en faire le tour.
...une brusque glissade de l'étalon à droite de l'attelage, le tire de sa rêverie. Aussitôt, il se porte à la tête de Zéphir et saisissant le licol, l'aide à se rétablir.
La transpiration des deux bêtes forme un véritable nuage de condensation qui donne dans le jour finissant, une aura d'irréalité.
Le père Wolf, remonte le cache-col de sa pelisse et donne de la voix pour stimuler son équipage qui peine dans le petit raidillon abordé avec difficulté. Sur la gauche, la Birse qui vient de recevoir les eaux de son affluent Vadais, "La Sorne", roule ses flots entre les rochers. Son ronflement est avec l'arrivée de la nuit, le seul repère jusqu'à Delémont.
Prudent, le voiturier garde   en réserve son brûlot, accroché aux ridelles du char, il servira pour la fin du trajet. Entre Delémont et Bassecourt, par la Lovaire, il ne bénéficiera plus d'aucun points pour se guider et ce soir, la lune n'est pas présente pour l'aider. La lueur ténue de son bidon rempli de braises rougeoyantes, sera sa seule source et de chaleur et d'éclairage. L'anse bien entouré d'un chiffon épais lui permettra de s'en servir comme d'une mince torche dans la nuit.
Soudain, les sabots des deux chevaux glissent et dérapent en même temps. Zéphir, l'étalon met même les genoux au sol. Surpris le conducteur, dans un premier réflexe, fait claquer son fouet. L'attelage s'est arrêté net...  Se rendant compte que quelque chose de bizarre se passe, il remonte rapidement à la tête de ses chevaux. Saisissant à nouveau le licol de la jument Saba, il relance du geste et de la voix ses percherons.. Bien qu'arcboutés sur leurs pattes, ils n'arrivent pas à ébranler le convoi.
Totalement déboussolé, le père Wolf louche vers la cognée qui, attachée sur le côté du char, l'accompagne dans tous ses voyages. Après une courte hésitation, il s'en saisit et, dans un geste de protection, allume le brûlot. Ainsi équipé et plus ou moins rassuré, il fait le tour du gros véhicule et l'inspecte à la lueur vacillante de la torche improvisée. Aussitôt à sa droite, la forêt toute proche, s'anime et prend des allures d'irréalités. Passant par l'arrière pour ne pas effrayer ses bêtes toujours un peu cabrées, il fait lentement le tour du charroi. Arrivé à hauteur de la roue arrière droite, il a vaguement l'impression d'une présence. Dans un mouvement de peur et de protection, il lève la puissante hache devant son visage. Son rythme cardiaque grimpe, une bouffée d'adrénaline le submerge... il a la trouille de sa vie. Cependant aucune présence ne se manifeste, mais les chevaux sont de plus en plus nerveux. Pour se rassurer, il lâche une bordée de jurons bien sentis tout en se repliant vers l'avant, vers ses chevaux.
- Holà...holà...tout doux, tout doux !
- Calme mes beaux , calmes.              
Se calmant un peu lui-même, il remet la cognée à sa place entre les barreaux et reprend ses deux bêtes en main, par le licol pour tenter de les faire avancer. Mais les gros yeux de ceux-ci, semblent vouloir lui délivrer un message qu'il ne comprend pas.
Une rafale de vent plus forte, incongrue et totalement imprévisible, attise le brûlot qu'il a conservé dans sa main gauche, attisant et provoquant un appel de flamme qui lui fait lâcher prise. Les braises incandescentes se rependent sur le sol, roulant entre les pattes des chevaux. Malgré le lourd timon qui les unit, ils se cabrent sur les pattes arrières, bousculant l'homme qui manque de peu être piétiné.
Franchement affolé cette fois, il se rue sur sa hache, l'empoigne à pleines mains, courant et trébuchant il refait le tour de l'attelage , arrivé à hauteur de la roue arrière droite, il abat avec un cri terrible le tranchant de l'instrument, fracassant net un rayon de bois de la roue.
Un cri encore plus terrible lui fait écho. Un cri qui fait trembler la forêt toute entière, réveillant chouettes, hulottes et chauve-souris qui s'enfuient dans un frou-frou d'ailes affolées.Et dans le bois frémissant de la course de tous ses habitants, à la lueur de son brasier qui termine de se consumer au sol, l'homme éberlué voit une forme vaguement féminine, blanche et quasi transparente, s'enfuir entre les troncs. De sa main droite elle soutient son avant-bras gauche et le père Wolf le jurera : un flot de sang s'échappe de ce moignon, tranché au ras du poignet...
Ses nerfs le trahissent et il glisse au sol. Adossé à la grosse roue fracassée, il voit la forme blanche disparaître dans les buissons.       

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